CASTLES MADE OF SAND

Dominik STAUCH

Dominik Stauch am 26. Februar 2020 zuhause und in seinem Atelier in Thun, Switzerland.
Copyright ©Alexander Egger

Le plaisir d’expérimenter avec lequel Dominik Stauch déploie sa peinture sur la toile n’exclut pas les autres médiums. L’animation numérique – où le son joue un rôle équivalent à celui des images –, les impressions digitales, le collage, le mobilier devenant sculpture et les interventions spatiales et architecturales sont autant de champs de recherche importants qui se nourrissent mutuellement. Parallèlement, sa pensée et sa démarche artistiques et conceptuelles demeurent clairement liées à l’histoire de la peinture et sa teneur utopique. Les abstractions géométriques du XXe siècle avec leurs hypothèses idéologiques et esthétiques controversées sont au cœur de l’attention, une tradition que Dominik Stauch met en lien de manière sans cesse inattendue avec la culture, les images et la musique pop.

La décision de concentrer l’exposition Castles Made of Sand sur des travaux bidimensionnels – peintures et collages – éclaire le rapport non-idéologique de l’artiste à la modernité géométrique-abstraite et montre comment l’approche subjective de Stauch y introduit, comme de rien, les sensibilités contemporaines. Et ceci loin de toute charge utopique portant des revendications totalitaires et l’échec inhérent à ces dernières. Le langage de sa peinture se limite résolument à des formes géométriques de base. L’application de la couleur est lisse et ne présente pas de traces de pinceau. L’artiste confronte ces paramètres objectifs à des chevauchements précis, qui ouvrent des espaces picturaux difficilement saisissables, pleins d’effervescence. Cela rappelle la conception renaissante de l’image comme fenêtre ouverte sur le monde. Ce que nous percevons ici n’est cependant plus un aperçu de la réalité visible. Nous découvrons par contre des mondes qui racontent d’autres choses. Il y a là d’une part l’univers artistique où il est question de proportions, de perspective, de couleurs et de contrastes. De principes constructifs que l’artiste phagocyte par des décisions intuitives, opposant ainsi sa subjectivité radicale au rationnel. Mais il y a là d’autre part l’illusion d’un espace qui ne se laisse pas définir et qui peut déstabiliser le spectateur, sa perception n’y trouvant plus de prise solide. Le regard peut y vagabonder d’autant plus librement, confronté toutefois à une certaine instabilité. Il fait face à un monde pictural qui ne peut pas être circonscrit. Le rapport entre image et spectateur peut et doit sans cesse être mis au point, ce qui ne fonctionne qu’au travers de prémisses individuelles qui transforment le processus de perception en un processus cognitif personnel.

L’esprit ouvert de l’ensemble d’œuvres présenté dans la galerie se fonde sur une grande discipline de pensée et de création. À l’aide de programmes informatiques, l’artiste esquisse d’innombrables constructions, varie les proportions, crée puis rejette des symétries et teste les combinaisons de couleurs les plus diverses. Il joue délibérément avec les règles des théories classiques de la couleur – couleurs primaires et secondaires, contrastes complémentaires et simultanés – en éprouvant des combinaisons de teintes qui ne vont à priori pas ensemble, ou en excluant, autant que possible, les préférences personnelles. Cette infinité de combinaisons repose sur un concept artistique qui, à la manière d’une lentille convergente, concentre le regard sur notre réalité sociale. Les modernes de l’abstraction géométrique cherchaient encore à utiliser la création pour donner forme à une utopie sociale à la recherche d’égalité, au sein d’un tout supérieur. Aujourd’hui, le défi se situe dans l’association et la coexistence de points de vue hétérogènes. La stratégie de survie dans cette situation de conflit – voilà ce que nous enseignent les images de Dominik Stauch – consiste à prendre sans cesse des décisions subjectives tout en les relativisant.

Le titre de l’exposition Castles Made of Sand se réfère à un vers du morceau éponyme de Jimi Hendrix, chez qui le génie et l’échec sont indissociables. En faisant allusion au mythe du génie, et par là au romantisme, les collages de petit format acquièrent une dimension existentielle. Les images tirées d’internet – les motifs récurrents étant les rodéos, les photographies de musiciens comme Hendrix sur scène, Superman, mais aussi des anges de l’Annonciation – sont doublement retravaillées. L’artiste les soumet à un logiciel de tramage et met ainsi en évidence leur origine. Puis il découpe des formes géométriques libres directement dans ce matériau. En réalité, il combine ici des méthodes de conception et des motifs à première vue incompatibles. L’abstraction et la figuration, la culture populaire et l’histoire de la peinture, accompagnées de leurs connotations culturelles, restent ainsi lisibles comme idiomes autonomes dans les collages. Les systèmes philosophiques et les mythes populaires en font tout autant partie que les épopées héroïques, des promesses de salut ou d’annonciation. La somme de cet enchevêtrement hétérogène et fragmenté ouvre un champ de réflexion et de liberté surprenant. Ainsi s’affirme une pensée esthétique qui relie avec légèreté les questionnements inhérents à l’art aux questions les plus pressantes du quotidien.

Elisabeth Gerber, août 2020
Traduction Petra Krausz

 

 

Date

Du 04/09/20 au 17/10/20

Vernissage

le 3 septembre dès 18h